La Place De L'information Dans Les Rapports De Force Économiques

Analyse de la manière dont l’information structure les rapports de force entre acteurs économiques

L’information est une ressource stratégique dans l’économie contemporaine. Elle façonne les rapports de force en créant des avantages compétitifs, des asymétries de pouvoir et des dépendances. Cette dynamique est visible à l’échelle mondiale, où grandes plateformes numériques, États et régulations internationales s’affrontent, mais aussi à l’échelle nationale, avec des exemples concrets en Belgique.


Analyse

  • À l’échelle mondiale, l’information est au cœur de la compétition entre multinationales, États et institutions internationales. Les big tech disposent d’un pouvoir inédit grâce à la captation et au traitement massif de données.
  • En Belgique, l’information circule entre les institutions publiques, les entreprises, les universités, les médias et les citoyens, mais des asymétries persistent : entre grandes entreprises et PME, entre administration et particuliers, ou encore entre plateformes numériques et usagers.
  • Les opportunités se trouvent dans l’open data, la transparence, la vulgarisation et les outils accessibles pour les petites structures ou le grand public.

Voici une réflexion détaillée, avec des exemples, sur la place de l’information dans les rapports de force entre acteurs économiques — aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle locale / nationale (avec référence à la Belgique). On y trouve : les structures, mécanismes, enjeux, asymétries, pouvoirs, etc.


1. Pourquoi l’information est cruciale dans les rapports de force économiques

Avant de passer à des exemples concrets, il est utile de comprendre de manière conceptuelle comment l’information confère du pouvoir aux acteurs économiques.

  • Information comme ressource stratégique : savoir des données de marché, des comportements de consommateurs, des technologies, des régulations, etc., permet d’anticiper, de s’adapter ou d’innover. Cela différencie les acteurs dominants de ceux qui sont en retard.

  • Asymétries d’information : certains acteurs connaissent mieux que d’autres certains éléments (coûts, qualité, risques), ce qui leur donne un avantage (sur les prix, sur les négociations, sur la concurrence). Ces asymétries peuvent créer des inefficiences ou des abus de pouvoir.

  • Capacité à produire / traiter l’information : avoir des moyens (technologiques, humains, financiers) pour collecter, analyser, interpréter des données est une compétence clé. Les entreprises ou États qui maîtrisent cela mieux que d’autres tirent profit.

  • Réglementation, normes, transparence / opacité : l’information est aussi encadrée par des règles (protection des données, confidentialité, réglementation des marchés). Ceux qui contrôlent ou influencent la réglementation sur l’information ou sur les normes de transparence ont un levier de pouvoir.

  • Dépendance et interconnexion : dans le monde globalisé, de nombreuses chaînes de valeur, réseaux, plateformes font que certains nœuds d’information – infrastructures, plateformes digitales, institutions financières – deviennent des points de pouvoir (« chokepoints »). Ceux qui possèdent ces nœuds peuvent en tirer un pouvoir disproportionné.


2. L’information dans les rapports de force mondiaux

Voici comment ces principes se traduisent au niveau mondial :

  • Data / Big Tech : les grandes plateformes numériques (Google, Amazon, Meta, etc.) disposent d’énormes volumes de données, ce qui leur permet de connaître les consommateurs, prédire les comportements, contrôler les marchés publicitaires, etc. Elles peuvent influencer les régulations internationales, les normes (par exemple sur la vie privée, les standards techniques), et négocier avec les États (par exemple sur la fiscalité, la localisation des données…).

  • Normes et régulation internationale : qui fixe les normes sur la sécurité, la propriété intellectuelle, la protection des données, l’accès aux marchés, etc., impose un rapport de force. Par exemple, les lois européennes comme le GDPR (RGPD) ont un effet extraterritorial : elles obligent les acteurs mondiaux à se conformer sous peine de sanctions. C’est un instrument de puissance douce (« soft power »). On parle parfois de Brussels effect : l’influence externe des régulations européennes.1

  • Infrastructure de l’information : câbles sous-marins, serveurs, centres de données, plateformes de cloud, etc. Ceux qui les contrôlent ou les norment peuvent imposer des coûts, limiter l’accès, fixer des règles. Ceci crée des asymétries de dépendance entre pays ou régions.

  • Interdépendance / dépendance stratégique : certains pays ou entreprises sont dépendants d’autres pour l’accès à des technologies critiques, données ou savoirs. L’information / le contrôle sur l’information peuvent devenir un levier stratégique, même géopolitique. Par exemple, qui contrôle la recherche en IA, la fabrication de semi-conducteurs, etc.

  • Pouvoir des États vs entreprises multinationales : les États essayent de réguler, de taxer, de protéger leurs citoyens, mais sont souvent en compétition avec des firmes qui opèrent dans plusieurs juridictions. L’information (sur leurs pratiques, leurs profits, leur lobbying, leur usage des données) devient un champ de bataille.


3. À l’échelle nationale / locale : exemples en Belgique

Maintenant, comment ces dynamiques se manifestent spécifiquement en Belgique. J’ai repéré des données/réflexions qui illustrent bien des rapports de force autour de l’information dans ce contexte.

3.1 Points forts belges

  • Digitalisation des entreprises : la Belgique figure souvent dans les pays européens en avance dans la maturité numérique des entreprises. Par exemple, selon un rapport Fastfwd Belgium / McKinsey, les entreprises belges sont globalement au-dessus de la moyenne mondiale pour leur maturité digitale.2 Ceci leur donne un avantage : elles peuvent mieux exploiter les données, améliorer leur productivité, répondre plus rapidement aux évolutions. Cela renforce la position de celles (surtout grandes entreprises) qui ont déjà cette maturité.

  • Services publics en ligne : selon le Belgium 2024 Digital Decade Country Report, la Belgique est un des bons élèves concernant les services publics numériques pour citoyens et entreprises.3 Des plateformes comme celles qui permettent aux administrations d’échanger des données (“once-only principle”) allègent les démarches, réduisent les coûts, mais aussi réduisent les asymétries d’information entre citoyen et administration.4

  • Stratégie nationale des données / cadre réglementaire : la Belgique, comme d’autres pays de l’UE, s’inscrit dans les cadres européens de gouvernance des données, de protection de la vie privée, d’interopérabilité, etc. Cela crée des normes qui équilibrent un peu le terrain entre entreprises puissantes (qui collectent beaucoup) et plus petites.5

3.2 Déséquilibres et rapports de force

  • Grande(s) entreprise(s) vs PME / TPE : il y a un fossé en Belgique entre les entreprises grandes/technologiquement matures et les PME/TPE. Par exemple, pour l’adoption de l’IA ou des technologies avancées, les grandes entreprises sont largement en tête, les plus petites peinent à suivre, pour des raisons de coût, de compétences humaines, d’infrastructure, etc.6 Ce déséquilibre crée une asymétrie de pouvoir : les grandes entreprises peuvent bénéficier d’économies d’échelle, capter les marchés, imposer des standards, tandis que les petites sont plus vulnérables.

  • Information, influence, groupes d’intérêt / lobbying : en Belgique, les groupes d’intérêt économique et citoyens jouent un rôle dans la politique via des capacités analytiques, la fourniture d’information aux décideurs. Ceux qui ont plus de ressources (financières, intellectuelles, réseaux) pour produire des études, des données, des analyses, ont un meilleur accès aux processus décisionnels.7

  • Réglementation et transparence : même si la Belgique dispose d’un cadre légal et institutionnel solide, il existe des défis en matière de transparence (ex : qui possède quels médias ? comment sont traitées les données personnelles ? quelles sont les pratiques de surveillance / de profilage commercial). Ces zones d’ombre peuvent renforcer les déséquilibres de pouvoir entre acteurs.

  • Dépendance aux normes externes : comme tous les pays de l’UE, la Belgique dépend souvent des normes, régulations, technologies définies au niveau européen ou international. Si bien que les acteurs européens ou internationaux qui influencent ces normes peuvent peser lourdement sur les pratiques nationales, ce qui peut limiter le pouvoir local, surtout pour les acteurs plus petits qui ont moins de capacité de participation.


4. Rapports de force : qui gagne, qui perd ?

Avec les éléments précédents, on peut identifier quels types d’acteurs tirent avantage ou sont désavantagés selon les configurations.

Acteurs / groupesAvantages liées à l’informationRisques / désavantages
Grandes entreprises / multinationalesCapacités à recueillir des données massives, à investir dans l’analyse, à influencer la réglementation, à fixer des standards, à bénéficier d’effets de réseau.Confrontées à la réglementation plus stricte (protection des données, normes européennes), attentes de transparence ; parfois risques d’antitrust ; doivent gérer les ruptures technologiques.
Petites et moyennes entreprises (PME)Flexibilité, éventuelle spécialisation locale, moins contraintes bureaucratiquement ; adoption numérique progressive qui peut devenir avantage compétitif.Manque de ressources (données, compétences, infrastructures), vulnérabilité face aux plateformes dominantes, difficultés à influencer la réglementation ou à accéder à l’information stratégique, décalage dans la digitalisation.
États / fonction publiqueCapacité de fixer des règles, de demander transparence, de collecter les données publiques, de fournir services, de réduire asymétries entre citoyens/entreprises.Défis de compétence, de légitimité, de mise en œuvre effective, risques de capture par acteurs privés, difficulté d’équilibrer innovation et protection (vie privée, sécurité) ; coût de la régulation et de supervision.
Citoyens / consommateursMieux informés via Internet, transparence, possibilités de choix ; pouvoir de pression (opinion publique, droit, recours) ; accès aux services publics efficaces si l’information est bien partagée.Vulnérabilité face au profilage, à la désinformation, à des offres personnalisées trompeuses, à l’exploitation de données personnelles, à des coûts cachés ; inégalité d’accès selon revenus, compétences numériques.

5. Enjeux actuels et possibles évolutions

Voici quelques tendances / défis qui modifient les rapports de force autour de l’information, que ce soit en Belgique ou mondialement.

  • IA, algorithmes et automatisation : capacité à concevoir, maîtriser ou contrôler les algorithmes devient une source de pouvoir. Qui définit les algorithmes (entreprise privée, État, organismes publics) ? Quelles données utilisés ? Avec quelle transparence ou auditabilité ?

  • Régulation de la donnée : lois sur la protection des données (ex: GDPR), régulations sur les plateformes, obligations de transparence, normes pour le partage des données publiques ou entre entreprises. Ces régulations peuvent redistribuer les avantages : réduire les asymétries ou, selon leur conception, renforcer le pouvoir de ceux qui peuvent s’y conformer (souvent les mieux dotés).

  • Infrastructure numérique : connectivité, couverture internet haut débit/5G/fibre, capacité de stockage et de calcul local. Dans des zones / secteurs moins bien équipés, les retards suppriment des opportunités.

  • Politiques publiques et services publics d’information : données ouvertes (open data), services publics numériques, transparence des marchés publics, accès à l’information administrative. Cela peut renforcer le pouvoir des citoyens, des PME, faire contrepoids aux grands acteurs.

  • Interdépendance mondiale : crises, ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, cybersécurité, dépendance aux technologies étrangères — tout cela peut changer qui détient l’information clés, qui contrôle les infrastructures critiques, etc.


Dossier ChatGPT

Note : l’affichage et la toolbar dépendent du navigateur/lecteur PDF.


Dossier Claude

Note : l’affichage et la toolbar dépendent du navigateur/lecteur PDF.


Synthèse : L’information comme levier de pouvoir économique mondial et local

Ces deux rapports convergent pour démontrer que l’information est devenue le principal facteur structurant des rapports de force économiques en 2025, transformant radicalement les équilibres de pouvoir à toutes les échelles géographiques et organisationnelles.

1. Les dynamiques mondiales du pouvoir informationnel

La concentration sans précédent du contrôle de l’information

Les deux analyses soulignent l’hégémonie des géants technologiques (GAFAM, BATX) qui contrôlent désormais :

  • Plus de 60% du marché mondial du cloud
  • 90% des données occidentales transitant par des serveurs américains
  • Des investissements colossaux : 320 milliards de dollars prévus en 2025 pour l’IA et les infrastructures de données

Cette concentration génère des bénéfices économiques massifs (6,1 à 7,9 trillions de dollars pour l’IA générative selon McKinsey) mais reste hautement inégalitaire, créant une nouvelle forme de “colonialisme des données” où la collecte et l’exploitation de l’information personnelle constituent une forme moderne de domination.

Les fractures numériques persistantes

Les rapports identifient plusieurs niveaux d’asymétries :

  • Géographique : 2,6 milliards de personnes sans accès à Internet (principalement dans les pays en développement)
  • Infrastructure : disparités critiques dans la couverture 5G et réseaux gigabit entre l’Europe (82,5-87%) et l’Asie (97-99%)
  • Sectoriel : asymétries entreprise-consommateur, entreprise-gouvernement, entreprise-science

L’espionnage économique et la guerre informationnelle

Les deux documents révèlent l’ampleur de la guerre économique informationnelle :

  • Augmentation de 150% des attaques d’espionnage chinois en 2024
  • Coûts du vol de secrets commerciaux : 1 à 3% du PIB des nations avancées
  • L’attaque Salt Typhoon affectant 80+ pays et 600+ organisations
  • Utilisation systématique de la désinformation (81 pays avec campagnes de manipulation organisées)

Les États-Unis utilisent leur législation extraterritoriale (FCPA, Sarbanes-Oxley) comme outil de captation d’informations stratégiques, se positionnant comme “Big Brother mondial des données économiques”.

2. La Belgique : microcosme des enjeux informationnels

Bruxelles, capitale mondiale de l’influence informationnelle

Les rapports convergent sur le rôle unique de Bruxelles :

  • Hub du lobbying mondial : 25.000 à 30.000 lobbyistes, 343 millions d’euros de dépenses annuelles
  • Impact économique majeur : 8,7 à 13,9 milliards d’euros et 123.000 à 163.000 emplois (20% de l’économie bruxelloise)
  • Centre de régulation mondiale : le RGPD devient le standard global, influençant les législations du Brésil au Japon

Les initiatives de transparence et leurs limites

La Belgique avance sur plusieurs fronts :

  • Réforme Open Data (juillet 2025) : gratuité de principe pour la réutilisation des données publiques
  • CCT n°81 : encadrement strict de la surveillance électronique en entreprise
  • Création d’un comité Open Data et de l’Agence de sécurité de l’information (CERT.be)

Cependant, la confiance reste fragile : seulement 22-39% des Belges font confiance aux institutions politiques (chute de 30 points depuis 2018).

Le fossé numérique national

Les deux analyses révèlent des disparités critiques :

  • Grandes entreprises vs PME : 95,3% des grandes entreprises avec intensité numérique élevée contre 34,5% des PME
  • Vulnérabilités cybersécuritaires : 556 incidents cyber en 18 mois, attaque Orange Belgium (850.000 dossiers compromis)
  • Saturation politique digitale : 25.000 messages et 7 millions d’euros dépensés en publicité lors des élections 2024, sans impact électoral proportionnel

3. Les stratégies d’exploitation de l’information

Champions belges de l’économie informationnelle

Les entreprises belges démontrent l’avantage compétitif par l’information :

  • KBC Bank : 1,6 million d’utilisateurs quotidiens de l’IA Kate, 60 millions de transactions/jour
  • AB InBev : 796,3 millions $ d’investissement TIC, plateforme BEES digitalisant 6 millions de partenaires
  • Collibra : première licorne tech belge (8 milliards $), leader mondial en gouvernance des données

Les algorithmes comme nouveaux arbitres économiques

Les rapports soulignent comment les algorithmes :

  • Orientent les marchés financiers (trading algorithmique : marché de 21 milliards USD en 2024, prévu à 43 milliards en 2030)
  • Façonnent la perception du réel et les décisions économiques
  • Influencent “la façon de penser l’État, les services publics et les idéologies gouvernementales”

4. Enjeux de souveraineté et perspectives futures

Trois modèles concurrents de souveraineté numérique

  1. Modèle européen : protection des données individuelles, régulation stricte
  2. Modèle chinois : contrôle étatique centralisé
  3. Modèle américain : autorégulation corporative, domination par les plateformes

Les défis à venir

Les deux rapports identifient des enjeux cruciaux :

  • 18 nouveaux domaines de compétition pouvant générer 29 à 48 trillions de revenus d’ici 2040
  • L’informatique quantique révolutionnant le trading et la sécurité
  • Le besoin de nouvelles formes de coopération internationale pour gouverner les flux d’information
  • L’équilibre délicat entre innovation, souveraineté et équité

Conclusion

Les deux analyses convergent vers un constat central : l’information est désormais le principal déterminant du pouvoir économique, créant de nouvelles formes de domination et d’inégalités. La Belgique, par sa position unique comme hôte des institutions européennes et laboratoire de régulation, illustre parfaitement les tensions entre aspirations démocratiques de transparence et réalités de la concentration du pouvoir informationnel.

L’avenir nécessitera de repenser fondamentalement les équilibres de pouvoir : entre protection et innovation, entre souveraineté nationale et interconnexion globale, entre efficacité économique et justice sociale. Sans action coordonnée, les asymétries informationnelles risquent de creuser davantage les inégalités et de menacer les fondements démocratiques de nos sociétés.



0%