Empowerment Et Participation Citoyenne en Belgique Francophone

Les innovations récentes, les freins structurels et les pistes pour une démocratie plus inclusive.

Deux dossiers pour comprendre et agir

Introduction : Redonner du pouvoir aux citoyens

Inclure les citoyens dans les décisions qui les concernent, n’est-ce pas l’essence même de la démocratie ? En Belgique francophone, de nouvelles formes de participation émergent pour donner plus de pouvoir d’agir aux citoyens. L’objectif est double : renforcer une démocratie parfois fragilisée par la méfiance et l’abstention, et permettre à chacun de vivre pleinement sa citoyenneté au quotidien.

Un constat préoccupant : En Wallonie, la confiance des habitants envers les institutions a chuté de 30% entre 2018 et 2023, signe que le modèle actuel doit évoluer. Paradoxalement, cette région s’impose comme un laboratoire européen d’innovation démocratique avec des dispositifs pionniers comme les commissions délibératives permanentes et le dialogue citoyen de la Communauté germanophone.


Comprendre les concepts clés

Qu’est-ce que la démocratie participative ?

La démocratie vient du grec demos (peuple) et kratos (pouvoir) : elle désigne le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Dans une démocratie saine, le pouvoir est légitimé par la participation active des citoyens et le respect de droits fondamentaux.

La Belgique est une démocratie représentative où les citoyens exercent leur souveraineté en élisant des représentants. Mais la démocratie ne se limite pas au vote : elle suppose aussi un débat public ouvert et l’implication continue des citoyens dans la vie de la cité.

La citoyenneté active

Être citoyen, ce n’est pas seulement avoir un passeport – c’est appartenir à une communauté politique avec des droits et des responsabilités. La citoyenneté moderne inclut :

  • Droits civils et politiques : vote, éligibilité, liberté d’opinion, d’association
  • Droits sociaux et économiques : éducation, protection sociale
  • Participation collective : s’investir dans son quartier, s’exprimer sur les politiques publiques

Exercer sa citoyenneté, c’est être acteur (et non simple spectateur) de la société démocratique.

L’empowerment (empouvoirement)

L’empowerment désigne le processus par lequel les individus acquièrent les capacités, les ressources et la confiance nécessaires pour exercer un plus grand contrôle sur leur vie et leur environnement. On parle en français de pouvoir d’agir, d’autonomisation, voire d’émancipation.

Dans un contexte citoyen, l’empowerment vise à donner aux membres d’une collectivité les moyens de participer pleinement à la prise de décision publique. L’empowerment peut être :

  • Individuel : prendre confiance en soi, monter en compétences
  • Collectif : renforcer le pouvoir d’un groupe, créer du lien pour agir ensemble

La participation citoyenne

On entend par participation citoyenne l’ensemble des dispositifs permettant aux citoyens de s’impliquer activement dans les processus décisionnels au-delà du seul vote. Elle peut prendre des formes variées :

  • Consultations et enquêtes publiques
  • Budgets participatifs
  • Panels délibératifs et assemblées citoyennes
  • Pétitions et référendums
  • Conseils consultatifs

L’idée centrale est d’ouvrir le dialogue entre les autorités et la population, afin que les politiques publiques reflètent mieux les besoins réels du terrain.


Les innovations démocratiques en Belgique francophone

Panels et assemblées citoyennes délibératives

Le G1000 (2011) : Cette initiative citoyenne a réuni 704 personnes tirées au sort pour discuter des réformes politiques, ouvrant la voie à la démocratie délibérative en Belgique.

La Communauté germanophone : Modèle européen de référence avec son Conseil citoyen permanent (24 membres tirés au sort) capable d’initier des assemblées de citoyens. Ce système est salué comme exemplaire par l’OCDE.

Les commissions délibératives bruxelloises : Depuis 2019, le Parlement bruxellois organise des commissions où des groupes de citoyens planchent aux côtés d’élus sur des questions comme la 5G, le climat ou la mobilité. 90% des participants souhaitent réitérer l’expérience.

L’Assemblée citoyenne permanente pour le climat de Bruxelles : Créée en 2022, elle rassemble chaque année 100 Bruxellois tirés au sort pour formuler des recommandations sur la transition climatique.

Budgets participatifs et conseils consultatifs locaux

De nombreuses villes francophones encouragent leurs habitants à décider de l’affectation d’une partie du budget public :

  • Namur : Budget participatif annuel depuis 2020
  • Communes bruxelloises : Saint-Gilles, Schaerbeek, Molenbeek ont lancé des budgets participatifs
  • Province de Namur : Processus participatif pour financer des projets citoyens

Ces budgets participatifs touchent 24% des communes wallonnes et bruxelloises, mais restent souvent symboliques avec une médiane de 2€ par habitant par an.

Initiatives associatives innovantes

Le Réseau Transition accompagne des “villes en transition” en Wallonie : groupes de citoyens mobilisés pour des projets écologiques et solidaires (potagers urbains, circuits courts, monnaie locale).

L’ASBL CPCP développe des formations pour outiller les citoyens et les rendre acteurs du changement via l’éducation permanente.

Agora Bruxelles : Ce collectif a obtenu un siège au Parlement bruxellois en 2019, qu’il fait occuper tour à tour par des citoyens ordinaires mandatés par une assemblée tirée au sort.

Plateformes numériques de participation

CitizenLab : Cette start-up bruxelloise propose des outils de consultation en ligne utilisés par une trentaine de communes en Wallonie et à Bruxelles.

participation.brussels : Plateforme officielle qui centralise les appels à participation pour la Région de Bruxelles-Capitale.

democratie.brussels : Facilite le dépôt de pétitions parlementaires (seuil abaissé à 1000 signatures).


Les obstacles structurels persistants

Barrières socio-économiques et éducatives

La participation citoyenne active tend à être plus difficile pour les personnes précaires. On constate le syndrome des “Toujours Les Mêmes” : ce sont souvent les citoyens déjà informés, diplômés ou aisés qui participent, tandis que d’autres publics restent en retrait.

Facteurs limitants :

  • Niveau d’éducation et maîtrise de la langue
  • Contraintes de temps (cumul d’emplois, garde d’enfants)
  • Frais de transport et accessibilité des lieux
  • Sentiment d’illégitimité (“Je ne suis pas un expert”)

Données alarmantes : 21% de la population belge vit en situation de précarité, créant des barrières matérielles à l’engagement.

Freins institutionnels et politiques

Du côté des institutions, il existe parfois une réticence à partager le pouvoir. Les objections courantes incluent : “c’est trop cher, trop long, trop incertain”. La culture administrative reste souvent descendante (top-down), peu propice à la co-construction avec les citoyens.

Problèmes structurels :

  • Complexité du système fédéral belge (90% des citoyens ignorent l’existence des commissions délibératives)
  • Manque de cadre juridique unifié
  • Dispositifs principalement consultatifs sans pouvoir décisionnel réel

Déficit de culture participative

L’envie de participer n’est pas innée. La socialisation politique de nombreux Belges reste axée sur le vote et le fait de “laisser faire les élus”. Le sentiment d’illégitimité personnelle constitue un frein fréquent.

Obstacles culturels spécifiques :

  • Peur du conflit ou du jugement
  • Désillusion liée à des consultations passées jugées inutiles
  • Barrières pour certaines catégories (femmes, minorités)

Manque de suivi des contributions

Un obstacle majeur est l’absence de prise en compte visible des apports citoyens. Trop souvent, les avis disparaissent dans un “trou noir” administratif, créant frustration et découragement.

Les bonnes pratiques recommandent de “clôturer la boucle” : informer les participants de ce qui a été décidé grâce à leurs contributions et expliquer pourquoi certaines propositions sont retenues ou non.

Fracture numérique

Si les outils digitaux ouvrent de nouvelles voies, ils risquent d’exclure une partie du public. Une proportion non négligeable de la population (personnes âgées, peu diplômées ou précaires) est en décrochage numérique.

Le risque est de creuser un fossé entre une citoyenneté “connectée” et une autre laissée pour compte.


Recommandations pour renforcer l’empowerment citoyen

1. Institutionnaliser durablement la participation

Il est crucial de pérenniser les innovations démocratiques en les inscrivant dans le fonctionnement habituel des institutions :

  • Adopter des cadres juridiques stables pour les dispositifs participatifs
  • Créer des structures permanentes de participation dans chaque parlement
  • Ancrer une culture de l’ouverture au sein des administrations
  • Former les agents publics à la démocratie délibérative

2. Aller vers une participation plus inclusive

Combattre les inégalités de participation doit devenir une priorité :

Diversifier les modalités :

  • Ateliers décentralisés dans les quartiers populaires
  • Horaires adaptés (week-ends)
  • Soutien logistique (garderie, défraiement)
  • Formats variés (présentiel/numérique, individuel/collectif)

Utiliser le tirage au sort stratifié avec sur-échantillonnage des groupes sous-représentés et accompagnement spécialisé des publics vulnérables.

3. Renforcer l’éducation civique

L’empouvoirement passe par la formation :

Dès le plus jeune âge :

  • Consolider l’éducation civique dans les écoles
  • Faire pratiquer la participation (conseils d’élèves, budgets participatifs scolaires)

Pour les adultes :

  • Soutenir l’éducation permanente via les associations
  • Proposer des ateliers d’empowerment (prise de parole, débat argumenté)
  • Démystifier la politique pour tous les citoyens

4. Améliorer le retour et l’impact

Pour que la participation conserve son sens :

  • Assurer un suivi transparent de chaque consultation
  • Publier des rapports clairs des contributions
  • Formuler des réponses officielles motivées
  • Associer des citoyens au suivi de la mise en œuvre
  • Évaluer systématiquement les processus avec les participants

5. Exploiter le numérique de manière inclusive

Investir dans des solutions accessibles :

  • Plateformes ergonomiques et multilingues
  • Formations à la littératie numérique
  • Points d’accès publics accompagnés
  • Équilibre avec des rencontres en personne
  • Transparence des algorithmes et protection des données

Feuille de route 2025-2030

Phase 1 : Consolidation (2025-2026)

  • Évaluation indépendante des dispositifs existants
  • Institutionnalisation du dialogue citoyen sur le modèle germanophone
  • Formation massive des agents publics

Phase 2 : Extension (2026-2027)

  • Expérimentation de budgets participatifs régionaux
  • Création d’assemblées sectorielles permanentes (santé, climat, numérique)
  • Activation du mécanisme de consultation populaire wallon

Phase 3 : Innovation (2028-2030)

  • Expérimentation d’une initiative populaire fédérale (25 000 signatures)
  • Création d’un médiateur participatif
  • Possibilité d’une Chambre des citoyens comme troisième assemblée

Conclusion : Vers une démocratie plus vivante

L’articulation entre empowerment et participation citoyenne offre une voie prometteuse pour revivifier la démocratie en Belgique francophone. Elle permet de réaliser concrètement le principe du “gouvernement du peuple par le peuple”, en rendant chaque citoyen davantage acteur du destin collectif.

Les initiatives pionnières montrent qu’avec de la volonté politique et de l’ingéniosité, on peut innover démocratiquement. Il reste des défis de taille pour ancrer ces pratiques et les rendre réellement inclusives, mais les bénéfices sont déjà tangibles :

  • Décisions plus pertinentes et acceptées
  • Citoyens qui se sentent reconnus et utiles
  • Climat de confiance retrouvé à l’échelle locale
  • Démocratie plus résiliente contre la méfiance

L’enjeu central réside dans le passage d’une logique expérimentale à une transformation systémique. Il faut dépasser la coexistence entre excellence participative et reproduction des inégalités pour construire un système démocratique intrinsèquement inclusif.

Une démocratie plus participative est une démocratie plus résiliente, mieux armée contre la tentation du repli. En misant sur l’intelligence collective de tous les citoyens, y compris les plus marginalisés, nous ferons vivre pleinement la citoyenneté et consoliderons les bases d’un État démocratique vraiment sain.


Sources principales : Service Public Wallonie (Guide Smart City & participation, 2018), Pour la Solidarité (Working Papers participation citoyenne), CPCP (Charte), IWEPS (études sociologiques), APF (Rapport sur la démocratie délibérative, 2023), OCDE, Cultures&Santé, G1000, assemblées citoyennes climat, participation.brussels, Le Bulletin de l’EAP.


Dossier ChatGPT

Note : l’affichage et la toolbar dépendent du navigateur/lecteur PDF.


Dossier Claude

Note : l’affichage et la toolbar dépendent du navigateur/lecteur PDF.


0%