L'économie Souterraine : Un Phénomène Global Aux Racines Locales
Activités cachées, travail au noir, informalité, économie criminelle…

En bref
Économie souterraine = ensemble d’activités productives hors radar (volontairement cachées, illégales, informelles ou simplement non mesurées). Elle pèse des points de PIB même dans l’UE, fragilise recettes, concurrence et protection sociale, mais sert aussi d’amortisseur pour des populations sans alternatives. Les meilleures réponses combinent simplification et numérisation (e-facturation, paiements électroniques), reporting des plateformes (DAC7), contrôles ciblés et chemins de formalisation pour les micro-acteurs. (European Commission)
1) De quoi parle-t-on exactement ?
On emploie « économie souterraine » comme terme-parapluie pour désigner des activités productives qui échappent (volontairement ou non) à l’observation et à la régulation officielles. Les organismes statistiques parlent d’économie non observée (NOE) et y rangent :
- l’underground (activités légales mais dissimulées pour éviter impôts, cotisations, normes),
- l’illégal (biens/services interdits, ou pratiqués sans autorisation),
- l’informel (micro-entreprises/emplois sans enregistrement),
- et certaines lacunes statistiques (activités manquées par les enquêtes). (European Commission)
⚠️ À ne pas confondre : l’UE utilise aussi « travail non déclaré » pour les activités licites non déclarées (cash-in-hand, « enveloppe », etc.). C’est un sous-ensemble de l’économie souterraine. (Employment, Social Affairs and Inclusion)
2) Pourquoi c’est important (ordre de grandeur)
- Monde : l’emploi informel représente ~58 % des travailleurs (≈ 2 milliards de personnes) d’après la mise à jour 2023 de l’OIT. Même si informel ≠ « souterrain » au sens strict, cela donne l’échelle des travailleurs hors cadre formel. (WIEGO)
- Union européenne / OCDE : selon des travaux récents (IMF/OCDE), la taille de l’économie souterraine se situe souvent entre ~15 % et 25 % du PIB selon les pays (moins dans les économies avancées, plus dans les émergentes). (elibrary.imf.org)
- Belgique (estimation) : une étude du Parlement européen (2022, méthode Schneider) situe la part « shadow » autour de ~16 % du PIB sur 2019-2022 (hausse COVID puis stabilisation). Ce sont des estimations, pas des comptes officiels.
Conséquences usuelles : pertes de recettes, concurrence déloyale, sous-protection des travailleurs, moindres gains de productivité… mais aussi rôle d’amortisseur socio-économique dans certains contextes (subsistance, entrepreneuriat naissant). (OECD)
3) Anatomie rapide (typologie utile)
- Légal mais caché : heures non déclarées, rénovations « au noir », sous-facturation, caisses non enregistrées.
- Illégal : drogues, contrefaçon, services interdits, ou activités « normales » pratiquées sans licence (ex. soins médicaux non autorisés).
- Informel : micro-commerce, artisans/indépendants non enregistrés, emplois sans contrat. Cette grille provient du cadre SNA/OECD/IMF moderne. (IMF)
4) Comment on la mesure (et pourquoi les chiffres varient)
Il n’existe aucune mesure unique parfaite. Les principales approches sont :
Comptes nationaux – « exhaustivité » NOE : ajustements techniques pour couvrir ce que les sources manquent (tabular approach Eurostat). Base des chiffres officiels, mais n’isole pas « l’illégal ». (European Commission)
Modèles indirects (recherche) :
- MIMIC (Multiple-Indicators-Multiple-Causes) : estime une variable latente « shadow » à partir de ses causes/indicateurs. Très utilisé (Medina & Schneider). (IMF)
- Demande de monnaie (cash) : infère la part cachée à partir des excès d’usage d’espèces vs dépôts (méthodes Cagan/Tanzi modernes). (SpringerLink)
- Enquêtes (ménages, entreprises, managers) : utiles mais sensibles au biais de déclaration. (IMF) Moralité : comparez les tendances et les fourchettes, pas un chiffre « exact » unique.
5) D’où ça vient (principaux déterminants)
La littérature européenne récente met en avant :
- Qualité de la gouvernance & efficacité administrative,
- Charge réglementaire et fiscale (complexité, coûts d’entrée),
- Capital humain / productivité,
- Incitations (cash, faible risque perçu de contrôle), confiance, chômage, etc. Des paquets de politiques pays-spécifiques sont recommandés (réforme administrative, transparence, paiements électroniques). (IMF)
6) Effets macro et sociaux (en bref)
- Recettes publiques : base fiscale rognée (ex. écart de TVA suivi par la Commission). En 2022, le VAT gap UE est estimé à ~7 % de la TVA théorique (fortes différences selon pays). (Taxation and Customs Union)
- Concurrence & productivité : distorsions (prix cassés car pas de charges), sous-investissement.
- Travail & protection sociale : risques accrus (accidents, retraites), moindres droits syndicaux.
- Données & politiques : statistiques biaisées ⇒ politiques publiques moins ciblées. (OECD)
7) Que font les pouvoirs publics (leviers qui marchent)
- Simplifier et numériser : immatriculation en ligne, fiscalité claire, e-invoicing & e-reporting (réduction mesurable du VAT gap quand le reporting est continu/temps réel : –~5,1 pts du VTTL dans les pays qui l’introduisent). (Taxation and Customs Union)
- Pousser les paiements traçables : options « sans cash », terminalisation, reçus électroniques. (OECD)
- Plateformes numériques : DAC7 impose depuis 2023 le reporting des revenus des vendeurs (locations, services, ventes) aux fisc européens. (Taxation and Customs Union)
- Contrôles ciblés & inter-agences : approche « whole-of-government » (fisc, inspection sociale, police), proportionnée et fondée sur le risque. (OECD)
- Filets sociaux & formalisation : étendre la protection et réduire le coût d’entrée dans le formel pour les micro-acteurs (recommandations OIT).
8) Et en Belgique, concrètement ?
- Ordres de grandeur : estimations « shadow » autour de ~16 % du PIB sur 2019-2022 (méthodologie de recherche, donc prudence).
- Travail non déclaré : le droit belge n’a pas une définition unique, on raisonne via travail illégal/fraude sociale (Code pénal social) ; l’Autorité européenne du travail publie une fiche Belgique utile. (ela.europa.eu)
- Politiques : la Belgique participe aux dispositifs UE (DAC7, lutte contre l’écart de TVA), dispose de canaux de signalement de fraude sociale et d’actions sectorielles (ex. construction). (Emploi Belgique)
Synthèse : L’économie souterraine, du local au global
Un phénomène aux multiples visages
L’économie souterraine représente un continuum d’activités économiques échappant au contrôle étatique, allant du travail dissimulé légal aux activités criminelles organisées. Trois réalités coexistent :
Au niveau mondial, elle touche 2 milliards de travailleurs (61% de la main-d’œuvre) et représente environ 11,8% du PIB mondial, avec des disparités massives : 85% d’emploi informel en Afrique subsaharienne contre moins de 10% en Europe nordique.
En Europe, les estimations varient entre 15-25% du PIB selon les méthodologies et les pays. La crise COVID-19 a provoqué une hausse temporaire, suivie d’une stabilisation autour de 16% pour les pays de l’OCDE.
En Belgique, les chiffres révèlent un paradoxe méthodologique : les estimations officielles (BNB, SPF) situent l’économie non observée à 3,8-3,9% du PIB, tandis que les modèles académiques (MIMIC) suggèrent plutôt 16% du PIB. Cette différence s’explique par l’inclusion variable des activités illégales et les méthodes de calcul.
Anatomie sectorielle et sociale
L’économie souterraine se concentre dans des secteurs vulnérables :
- Construction et Horeca : jusqu’à 50% d’infractions lors des contrôles en Belgique
- Services domestiques : 17% des achats au noir en Europe
- Commerce de rue et agriculture : emploi massif de travailleurs précaires
- Économie criminelle : 2,22 à 5,54 trillions USD globalement (trafics, contrefaçon, cybercriminalité)
Les profils touchés révèlent les inégalités structurelles :
- Femmes : 80% des emplois féminins créés dans l’informalité (contre 66% pour les hommes)
- Migrants et sans-papiers : main-d’œuvre flexible mais ultra-précaire
- Jeunes non qualifiés et allocataires sociaux : piégés dans les “trappes à activité”
Impacts économiques et sociaux
L’économie souterraine génère un cercle vicieux :
- Pertes fiscales : 500 milliards EUR de fraude TVA annuelle en Europe, compromettant le financement des services publics
- Concurrence déloyale : entreprises respectueuses désavantagées
- Précarité massive : absence de protection sociale, conditions de travail dangereuses, salaires de misère
- Mais aussi fonction d’amortisseur : survie économique pour les populations sans alternatives
Stratégies de lutte : du répressif à l’incitatif
Les approches efficaces combinent trois piliers :
1. Simplification et numérisation
- Facturation électronique : réduction de 2 points de PIB en 5 ans
- Paiements digitaux et plateformes en ligne
- En Belgique : directive DAC7 pour le reporting des plateformes numériques
2. Incitations économiques
- Réduction des charges (Colombie : -50% = +18% d’emploi formel)
- Titres-services belges : formalisation réussie du travail domestique
- Programmes de régularisation et chemins vers la formalité
3. Contrôles ciblés et coordonnés
- Approche inter-agences (SIRS en Belgique : 14 000 contrôles, 435 millions EUR récupérés)
- Focus sectoriel (14 plans sectoriels belges)
- Coopération européenne via l’Autorité européenne du travail
Transformations émergentes post-COVID
La pandémie a catalysé des mutations profondes :
- Vulnérabilité exposée : 1,5 milliard de travailleurs informels sans filet de sécurité
- Innovations accélérées : paiements mobiles (M-Pesa), plateformes numériques, IA pour la détection
- Nouvelles menaces : cybercriminalité à 9,5 trillions USD, cryptomonnaies et circuits DeFi
Conclusion : un défi de développement structurel
L’économie souterraine n’est pas une anomalie mais le symptôme de déséquilibres profonds : institutions faibles, inégalités massives, systèmes de protection sociale fragmentaires. Sa réduction nécessite une approche intégrée combinant modernisation administrative, inclusion financière numérique, et extension de la protection sociale universelle. L’enjeu dépasse la simple conformité fiscale pour toucher à la construction de sociétés plus inclusives où chaque travailleur peut accéder aux protections et opportunités de l’économie formelle.
PDF annexe I
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