Quel Avenir Pour Le Pouvoir D’agir Collectif ?
Réflexion prospective à partir des tensions entre autonomie individuelle et émancipation collective

Résumé
Remarque
L’empowerment (ou « pouvoir d’agir ») a été à l’origine un outil d’émancipation collective, mais a été récupéré par le capitalisme pour servir ses propres intérêts. Pour qu’il soit vraiment libérateur, l’émancipation individuelle doit s’inscrire dans des luttes collectives conscientes et structurées. Sinon, elle devient une façade, voire un instrument d’aliénation.
Vers quoi allons-nous ? Repenser les conditions du pouvoir d’agir dans un monde en transition
À mesure que le capitalisme global évolue, il devient plus subtil, plus diffus, et plus difficile à contester frontalement. Ce n’est plus seulement un système économique : c’est un climat idéologique, un mode de vie, une structure mentale. Le vrai défi, pour les années à venir, ne sera pas uniquement de « lutter contre », mais de créer autrement, dans la durée, hors de ses logiques.
📌 Le risque : une société de l’autonomie vide
À force de promouvoir une autonomie personnelle déconnectée, on produit une société paradoxale : pleine d’individus libres mais impuissants, connectés mais isolés, engagés mais sur-sollicités. Le pouvoir d’agir devient une compétence individuelle, à activer seul, dans une compétition permanente. Si ce modèle perdure, il pourrait aboutir à une forme de néo-féodalisme numérique : des élites connectées et mobiles, face à des individus atomisés, assignés à résidence algorithmique, persuadés d’avoir « choisi » leur condition.
🌱 L’opportunité : de nouveaux communs, de nouvelles formes de solidarité
Mais l’histoire est loin d’être figée. À contre-courant, émergent déjà des pratiques alternatives qui, sans faire grand bruit, posent les bases d’un autre monde possible :
- Les communs numériques (plateformes coopératives, réseaux décentralisés) expérimentent des formes d’autonomie solidaire.
- Les assemblées citoyennes, les tiers-lieux, les zones en transition testent de nouvelles institutions à taille humaine.
- Les mouvements transnationaux (écologie radicale, justice climatique, droits numériques) bâtissent une conscience politique à l’échelle mondiale.
Ces embryons de changement ne renverseront pas l’ordre capitaliste d’un coup. Mais ils peuvent forcer des brèches, ralentir les logiques extractivistes, susciter des vocations collectives, rendre pensables d’autres horizons.
🤖 Et si la technologie devenait une alliée subversive ?
Le numérique n’est pas condamné à la récupération. Utilisé consciemment, il peut outiller les luttes, documenter les résistances, connecter les communautés, rendre visible l’invisible. L’avenir pourrait voir naître :
- des intelligences collectives auto-organisées (archives, cartographies, alertes citoyennes),
- des jeux coopératifs à vocation éducative (ARGs, serious games communautaires),
- des outils de gouvernance distribuée (DAO, budgets participatifs 2.0),
- des réseaux autonomes échappant aux GAFAM.
Mais ces outils ne sont subversifs que si les finalités sont politiques, émancipatrices, partagées.
🧭 Reconfigurer le sens du « nous »
Le plus grand défi est peut-être affectif et culturel : comment recréer du commun sans imposer l’uniformité ? Comment faire du lien une puissance, pas une contrainte ? Les luttes à venir devront concilier :
- Diversité des identités et cohésion d’action ;
- Besoin d’ancrage local et visions globales ;
- Technologies complexes et formes de vie simples.
Cela implique un imaginaire renouvelé de l’émancipation : non plus l’utopie du héros individuel, mais celle du tissage collectif, du soin mutuel, de la réinvention de la puissance à plusieurs.
📌 En guise d’ouverture : transformer le monde, ou le rendre à nouveau habitable ?
Plutôt qu’un modèle unique à imposer, c’est peut-être une écologie des pratiques de résistance qu’il faut cultiver. Le pouvoir d’agir collectif du futur sera peut-être discret, local, expérimental, mais ancré dans des vies dignes, des solidarités vraies, des gestes qui comptent.
Car l’émancipation n’est pas seulement une conquête spectaculaire : c’est aussi une attention partagée, un rythme retrouvé, une parole transmise, un territoire qu’on habite autrement.
Et si le grand bouleversement à venir n’était pas une révolution de masse, mais une infinité de micro-transformations têtues qui, un jour, rendent l’ancien monde obsolète ?
« La tâche n’est pas de prévoir l’avenir, mais de le rendre possible. »
— Antoine de Saint-Exupéry
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🧩 Résumé du texte par grandes idées
1. L’autonomie individuelle n’est pas toujours libératrice
- Le néolibéralisme valorise l’individu « autonome », mais c’est souvent une autonomie imposée : il faut être performant, flexible, entrepreneur de soi-même.
- Résultat : beaucoup se sentent épuisés, coupables, seuls. C’est une pathologie de l’autonomie (cf. Ehrenberg).
2. L’empowerment : un concept subversif… devenu flou
À l’origine : luttes sociales, féministes, anti-racistes → construction du pouvoir collectif à partir de la prise de conscience individuelle.
Mais il a été récupéré :
- Par les entreprises pour motiver sans contester.
- Par le développement personnel qui vend l’émancipation comme un produit.
- Par les start-ups sociales, qui transforment la critique en service « innovant » compatible avec le marché.
3. Sans collectif, pas de transformation réelle
- Pour Gramsci, le capitalisme tient par son hégémonie culturelle (valeurs dominantes acceptées comme naturelles).
- Il faut donc une contre-culture : construire des espaces collectifs pour vivre autrement (écoles, assos, ZAD, mouvements sociaux).
- Judith Butler insiste : « pas de je sans nous » – notre pouvoir vient du lien avec les autres.
- Hartmut Rosa critique le capitalisme qui accélère tout, nous empêche de respirer, de créer du sens. Il faut retrouver de la résonance (liens profonds).
4. Des cas concrets de pouvoir d’agir collectif
- ZAD (ex. Notre-Dame-des-Landes) : des zones occupées où on vit autrement, hors des logiques de profit.
- Zapatistes (Mexique) : des villages autonomes qui refusent le pouvoir central et pratiquent l’auto-gouvernement.
- Coopératives numériques : des alternatives à Uber & Co, gérées par les travailleurs eux-mêmes.
- Mouvements féministes (#MeToo, Ni Una Menos) : de la parole individuelle à l’action collective.
5. Comment le capitalisme neutralise l’émancipation
- En récupérant les critiques pour les transformer en slogans vendeurs : « sois toi-même », « deviens la meilleure version de toi », « girl boss »…
- En faisant croire qu’on peut changer le monde seul, avec un projet rentable, sans remettre en cause les structures injustes.
🚀 Conclusion pratique
Pour que le pouvoir d’agir devienne réellement subversif, il faut :
- 🔥 Repolitiser l’émancipation personnelle (la relier aux causes collectives).
- 🏗️ Créer des espaces collectifs (syndicats, coopératives, zones autonomes, réseaux numériques libres).
- 🛑 Éviter la récupération par les institutions et le marché.
- 🤝 Allier les luttes (féminisme, écologie, justice sociale, numérique…) et articuler local & global.
💡 En une phrase :
L’individu libre ne suffit pas — c’est en tissant des solidarités concrètes que l’on construit un vrai pouvoir de transformation.
