Comment Fonctionne Une Commune en Belgique ?
Budget, compétences, gouvernance et participation citoyenne

Les 581 communes belges constituent l’échelon de pouvoir le plus proche des citoyens, gérant un budget collectif de plus de 20 milliards d’euros et employant des centaines de milliers de personnes. Héritières d’une tradition d’autonomie locale antérieure à l’État belge lui-même, ces collectivités naviguent aujourd’hui entre innovation démocratique et tensions financières croissantes, dans un contexte de fédéralisme complexe où trois Régions distinctes organisent leurs compétences.
Un cadre institutionnel fragmenté mais cohérent
L’architecture institutionnelle des communes belges repose sur l’article 41 de la Constitution, qui stipule que “les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la Constitution”. Ce principe d’autonomie communale, reconnaissant que les communes existaient avant l’État belge, s’est progressivement adapté aux réformes de l’État.
Depuis la cinquième réforme de l’État en 2001, les Régions organisent les pouvoirs locaux selon trois cadres juridiques distincts. En Wallonie, le Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation (CDLD) de 2004 codifie l’ensemble de la législation locale. La Flandre applique le Decreet over het Lokaal Bestuur de 2017, qui a notamment intégré les CPAS (Centres publics d’action sociale) dans la structure communale depuis 2019. Bruxelles-Capitale maintient la Nouvelle Loi Communale de 1988, adaptée par diverses ordonnances régionales.
Cette fragmentation juridique reflète des choix politiques divergents : la Flandre privilégie l’efficacité et l’intégration, la Wallonie maintient un modèle plus traditionnel et solidaire, tandis que Bruxelles compose avec la complexité d’une région bilingue fragmentée en 19 communes.
Une gouvernance bicéphale entre délibération et exécution
Le système de gouvernance communale combine un organe délibérant (conseil communal) et un organe exécutif (collège des bourgmestre et échevins). Le conseil communal, élu au suffrage universel direct pour six ans, compte de 7 à 55 membres selon la population. Ses compétences exclusives incluent l’adoption des règlements communaux, l’approbation des budgets, la fixation des taux d’imposition et les décisions d’investissement majeur.
Le collège exécutif, composé du bourgmestre et d’échevins (de 2 à 10 selon la population), gère l’administration quotidienne et prépare les dossiers pour délibération. Le bourgmestre incarne un double rôle caractéristique du système belge : représentant communal élu localement et agent de l’État exécutant les lois des niveaux supérieurs.
L’administration permanente, dirigée par le directeur général et le directeur financier, garantit la continuité administrative et la légalité par-delà les alternances politiques. Ces postes clés, bénéficiant d’un statut protégé, peuvent même refuser d’exécuter des décisions illégales.
Des compétences étendues dans un cadre contraint
Les communes exercent des compétences obligatoires et facultatives particulièrement étendues. Les missions obligatoires comprennent la tenue des registres de population et d’état civil, le maintien de l’ordre public, la gestion de la voirie communale, l’enseignement primaire et la délivrance des permis d’urbanisme et d’environnement.
Le système de permis environnementaux illustre bien cette répartition des compétences : en Wallonie, les installations de classe 1 (impact significatif) relèvent de l’autorité régionale, celles de classe 2 (impact moyen) de l’autorité communale, et celles de classe 3 (impact mineur) nécessitent une simple déclaration communale.
Les compétences facultatives permettent aux communes de développer des politiques adaptées aux besoins locaux : logement social, développement économique, infrastructures culturelles et sportives, programmes climatiques. Cette flexibilité explique la diversité considérable entre communes, certaines investissant massivement dans la culture, d’autres privilégiant le sport ou l’économie.
Le CPAS constitue un acteur majeur du paysage social. Avec un revenu d’intégration sociale atteignant 2.236,45€/mois pour un ménage avec personnes à charge depuis février 2025, ses coûts représentent souvent plus de 50% des dépenses communales dans les villes confrontées à une pauvreté significative.
Un système budgétaire sous pression croissante
Le fonctionnement budgétaire révèle des tensions financières majeures. Le budget communal distingue les recettes et dépenses ordinaires (fonctionnement) des opérations extraordinaires (investissements), avec obligation d’équilibre réel. Pour les communes wallonnes, les dépenses ordinaires 2024 atteignent 7,21 milliards d’euros, avec une croissance annuelle de 7,1% entre 2019-2024, largement supérieure à l’inflation.
Structure des recettes
Les recettes communales proviennent principalement de transferts (environ 86% selon une étude de 2018) :
Les recettes fiscales propres (35,7% des recettes wallonnes) incluent les additionnels à l’impôt des personnes physiques (IPP) et au précompte immobilier. L’IPP additionnel affiche un taux moyen wallon de 7,89% en 2024, contre 6,85% en 1990, témoignant de la pression fiscale croissante.
Le Fonds des communes, transfert régional représentant 20-25% des recettes ordinaires, soulève des controverses : en Flandre, Anvers et Gand reçoivent 30% du fonds (918 millions d’euros) malgré 12% de la population, soit 1.553€/habitant contre une moyenne de 290€/habitant.
Les subventions spécifiques (37% des recettes wallonnes) proviennent des niveaux fédéral, régional et communautaire.
Les recettes de services (environ 6%) regroupent les redevances payées par les usagers.
Structure des dépenses
Les dépenses ordinaires se concentrent sur trois postes principaux :
- Frais de personnel (environ 45%) : salaires, cotisations sociales, pensions
- Dépenses de fonctionnement (environ 10%) : fournitures, entretien, énergie
- Transferts obligatoires (environ 35%) : CPAS, zones de police, cultes, subventions
Le fardeau le plus lourd concerne les cotisations de responsabilisation pour pensions : seules les autorités locales financent les pensions de leurs agents. Liège a versé 753 millions d’euros de 2013 à 2028, excédant son budget annuel.
Mécanismes de contrôle
Le budget est soumis à plusieurs niveaux de contrôle : approbation par le conseil communal en séance publique, transmission à la tutelle régionale qui vérifie légalité et équilibre, contrôle du réviseur communal et de la Cour des comptes. Cette tutelle, principalement axée sur la légalité plutôt que l’opportunité, s’est allégée mais reste contraignante.
L’innovation démocratique à l’avant-garde européenne
Les communes belges se positionnent à la pointe de l’innovation démocratique européenne. Le modèle Ostbelgien (Communauté germanophone) constitue une première mondiale : depuis février 2019, un processus délibératif citoyen permanent est institutionnellement lié au parlement législatif. Le Conseil citoyen de 24 citoyens tirés au sort définit l’agenda des Assemblées citoyennes qui délibèrent sur des thématiques spécifiques.
Les budgets participatifs en expansion
Les budgets participatifs se sont largement diffusés depuis les années 2010. À Molenbeek-Saint-Jean, 5 à 15% du budget des contrats d’axe est rendu participatif, permettant aux habitants de proposer et décider de l’allocation de ces moyens. À Uccle, 150.000€ sont alloués annuellement via un processus structuré combinant participation en ligne et ateliers présentiels. En 2024, 3.467 votes ont été enregistrés pour sélectionner les projets.
Anvers alloue 10% du budget via décision consensuelle, privilégiant la délibération face-à-face sur les plateformes numériques. Gand déploie “Het Wijkbudget” dans 25 quartiers : sur deux tours (2020-2024), 943 idées ont été soumises et 150 projets financés pour 6,25 millions d’euros.
L’éco-transition participative
Namur illustre l’approche citoyenne de la transition écologique avec un échevinat dédié créé en 2018. Le Plan Air Climat Énergie 2030 est élaboré avec un panel citoyen, et la ville soutient des coopératives comme la Ceinture Énergétique Namuroise. Un budget participatif de 330.000€ finance des projets liés à l’environnement, au social et à l’amélioration du cadre de vie.
Les outils numériques
L’inscription électorale en ligne via itsme® constitue une innovation majeure. Les plateformes Decidim (MonOpinion Belgium) et Go Vocal permettent dépôt de propositions, cartographie interactive et vote en ligne. Toutefois, 46% de la population belge est considérée numériquement vulnérable, créant un risque d’exclusion participative.
Des défis structurels majeurs
Malgré ces innovations remarquables, le système communal belge affronte des défis considérables :
Contraintes budgétaires
Le déficit public atteint 4,5% du PIB en 2024, projeté à 5,5% en 2026. Le rapport du FMI 2023 critique la décentralisation des responsabilités de dépenses dépassant l’autorité de revenus. Les coûts du vieillissement augmentent de 0,5% du PIB annuellement, créant une pression insoutenable sur les budgets communaux.
Transformations démographiques et climatiques
Avec 97% d’urbanisation (parmi les plus élevés mondialement), les communes doivent rénover massivement les infrastructures avec des ressources limitées. À Bruxelles, 85% des logements sont antérieurs à 1960 et 50% des émissions CO₂ proviennent de bâtiments mal isolés.
Fractures territoriales et sociales
Le fossé urbain-rural s’élargit, avec une polarisation politique croissante. Les disparités socio-économiques entre communes bruxelloises sont vertigineuses : le PIB par habitant bruxellois (71.412€) est 2,5 fois celui de la Wallonie (30.236€).
Relations complexes dans le fédéralisme belge
Les communes évoluent dans une architecture fédérale complexe à cinq niveaux : État fédéral, Communautés (3), Régions (3), Provinces (10), Communes (581). Cette gouvernance multiniveaux génère richesse démocratique mais aussi défis de coordination.
Les relations commune-Région sont primordiales car les Régions exercent la tutelle générale. Les relations avec les Communautés concernent les matières culturelles et éducatives. À Bruxelles, la complexité atteint son maximum avec l’équilibrage entre minorité flamande (15%) et majorité francophone (75%).
Le principe de subsidiarité guide théoriquement la répartition des compétences, mais les communes se plaignent de politiques supérieures imposant des coûts sans financement adéquat, violant le principe de “neutralité budgétaire”.
Vers un avenir incertain
Les communes belges incarnent un paradoxe : laboratoire européen d’innovation démocratique confronté à des pressions financières insoutenables. Le système fonctionne mais sous stress sévère, révélant des tensions entre autonomie locale et supervision régionale, entre innovation participative et contraintes constitutionnelles.
Trois questions détermineront l’avenir : la viabilité fiscale peut-elle être restaurée via des réformes structurelles ? L’évolution constitutionnelle permettra-t-elle de donner force contraignante aux recommandations citoyennes ? La participation inclusive comblera-t-elle les fractures numériques et géographiques ?
Avec 11,76 millions d’habitants répartis en 581 communes autonomes, le système communal belge reste fondamental pour la démocratie locale européenne. Sa capacité à transformer les expérimentations pionnières en institutions pérennes, tout en résolvant les contradictions financières structurelles, déterminera si le modèle belge inspire ou alerte le reste de l’Europe.
Les communes belges demeurent “le premier terrain de l’expérience démocratique individuelle et collective” - terrain fertile mais désormais sous haute tension, nécessitant des réformes structurelles urgentes pour préserver leurs atouts tout en assurant leur soutenabilité face aux défis du 21e siècle.
Dossier ChatGPT
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Dossier Claude
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