L’empowerment Sans Illusion : Du Développement Personnel À La Puissance D’agir Collective
Pourquoi la solution ne peut pas être seulement individuelle

Résumé en trois points
- Les slogans d’« empowerment » centrés sur l’individu atteignent vite leurs limites lorsqu’ils laissent intacts les règles et rapports de force qui créent les problèmes.
- Le système économique et médiatique sait récupérer ce langage (marketing « bien-être », greenwashing, féminisme d’entreprise) pour montrer des signes de changement sans modifier les structures.
- La voie solide passe par la puissance d’agir collective : s’organiser, décider, posséder et négocier ensemble — au travail, dans le logement, dans nos territoires.
Où l’approche individuelle s’arrête
- Problèmes collectifs, réponses privées. Méditer ne remplace pas un sous-effectif chronique ; se « motiver » ne résout pas des loyers qui grimpent.
- Réussir “dans” le système plutôt que le transformer. Obtenir un poste ou un label sans changer les règles de décision laisse intacte la distribution du pouvoir.
- Communication vs transformation. Un plan com’ écologique ou social n’équivaut pas à des engagements vérifiables (budgets, gouvernance, calendrier, critères).
Comment repérer une récupération
Avant d’adhérer à une « solution », poser quatre questions simples :
- Qui décide ? (processus clair, rôles tournants, droit de veto ?)
- Qui possède ? (salarié·es, usagers, actionnaires ?)
- Qui finance et à quelles conditions ? (transparence des flux, intérêts, contreparties)
- Qu’est-ce qui change concrètement ? (droits, tarifs, horaires, critères d’accès), dans quel délai, et comment c’est contrôlé.
Si ces réponses manquent ou restent vagues, on est face à de l’affichage.
Ce qui fonctionne quand on s’organise
- Entraide structurée. Des réseaux locaux qui cartographient les besoins, mutualisent des moyens (garde, repas, transports) et deviennent des interlocuteurs crédibles des pouvoirs publics.
- Coopératives de travail. L’outil de production appartient à celles et ceux qui y travaillent ; les règles (salaires, horaires, investissements) se décident collectivement.
- Syndicalisation des plateformes. Les travailleurs précaires négocient des grilles minimales, des mécanismes de contrôle des algorithmes, des voies de recours.
- Organisations de locataires. Assemblées d’immeuble/quartier, cahiers de doléances, actions coordonnées : les délais raccourcissent, les réparations se font, les abus reculent.
Méthode minimale (réaliste et reproductible)
- Nommer précisément les problèmes. Un tableau simple : symptôme → cause plausible → indicateur de réussite.
- Former un noyau (5–15 personnes). Réunions courtes, ordre du jour, comptes rendus systématiques.
- Décider sans usure. Mandats tournants, budget lisible, décisions par consentement quand c’est possible, vote formel quand nécessaire.
- Chercher une première victoire mesurable en 30–60 jours. Ex. : réponse écrite d’un bailleur, modification d’horaires, accès à un local.
- Documenter et transmettre. Règles, contacts, modèles de lettres, calendrier : de quoi permettre à d’autres de reproduire la démarche.
Garde-fous pour durer
- Droit au désaccord et au signalement. Interdire les « good vibes only » qui étouffent les alertes utiles.
- Rotation des responsabilités. Évite les “héros épuisés” et les dépendances.
- Transparence des moyens. Comptes ouverts, critères publics, journal des décisions.
- Protection du temps. Plages sans réunion, règles d’accessibilité (horaires, garde d’enfants, mobilité).
Indicateurs qui comptent
- Structurels : parts de décision détenues par les membres, existence d’un droit de veto, durée des mandats, taux de rotation.
- Matériels : évolution des salaires/loyers/tarifs, délais de traitement, taux de résolution des demandes.
- Organisationnels : assiduité, renouvellement des participantes/participants, qualité des comptes rendus, partenariats signés.
Conclusion
L’empowerment individuel est utile pour gagner en compétences et en confiance. Il devient décisif lorsqu’il s’adosse à des organisations capables de changer les règles. C’est là que naît la puissance d’agir : quand des personnes se dotent d’outils de décision, de propriété, de négociation et de contrôle, ensemble.
En pratique, cela commence modestement — un noyau, des règles simples, un objectif mesurable — et se consolide par la preuve : des conditions qui s’améliorent et des droits qui s’étendent. Le sérieux n’est pas dans le ton, il est dans la capacité à produire des effets réels.
Bibliographie & sources
- Gramsci, A. Selections from the Prison Notebooks. International Publishers, 1971. :contentReference
- Foucault, M. The Birth of Biopolitics: Lectures at the Collège de France (1978–1979). Palgrave Macmillan, 2008.
- Roosevelt Institute — The Cultural Contradictions of Neoliberalism (rapport, 2024).
Récupération & marketing « bien-être »
- Global Wellness Institute — 2024 Global Wellness Economy Monitor (taille du marché & tendances).
- Washington Post — « Corporate America’s $50 billion promise » (bilan des engagements post-2020).
- The 19th — « Did women-led corporations meet their pledges on racial justice? » (analyse des décaissements).
- Harvard Political Review — « Girlboss, Gaslight, Gatekeep » (critique du « féminisme d’entreprise »).
- Atlassian — « Toxic positivity at work » (effets contre-productifs de la positivité imposée).
- EURAC Research — « Fake it till you make it: inventing the neoliberal self » (sur l’« entrepreneur de soi »).
Greenwashing & responsabilité des entreprises
- Forbes — « After Abandoned ‘Beyond Petroleum’ Re-brand, BP’s New Renewables Push… » (retour critique sur Beyond Petroleum).
- The Guardian — « Fashion brands pause use of sustainability index tool over greenwashing claims » (H&M / Higg MSI).
- Break Free From Plastic — Global Brand Audit 2023 (Coca-Cola #1 pollueur plastique mondial).
Mouvements & alternatives collectives
- Encyclopaedia Britannica — « Zapatista National Liberation Army (EZLN) » (contexte, autonomie).
- The Guardian — « France abandons plan for €580m airport… » (ZAD de Notre-Dame-des-Landes).
- US Federation of Worker Cooperatives — « What is a Worker Cooperative? » (chiffres clés US).
- Up & Go (coopérative de plateforme) — page Press: « workers retain 95% of income ».
- Stocksy United — « Values & Principles » (coopérative d’images, partage des revenus).
- Resonate — « Resonate is the world’s first co-operative music streaming service » (plateforme multi-sociétaires).
Logement & entraide
- État de New York — Housing Stability & Tenant Protection Act of 2019 (aperçu officiel).
- Housing Justice for All — synthèse des victoires & campagne 2019.
- Bed-Stuy Strong — bilan (28 000 personnes aidées ; 1,2 M$ redistribués).
- Dean Spade — Mutual Aid: Building Solidarity During This Crisis (and the Next) (guide pratique).
Le piège de « l’empowerment » : pourquoi la véritable libération exige l’action collective
L’industrie du bien-être pèse 215 milliards de dollars et continue de croître. Les livres de développement personnel promettent de transformer votre vie en 30 jours. La culture « girlboss » dit aux femmes qu’elles peuvent briser le plafond de verre à force d’efforts individuels. Pendant ce temps, des réseaux d’entraide nourrissent des millions de personnes, des coopératives de travail démocratisent les lieux de travail, et des mouvements de base arrachent des victoires concrètes contre le pouvoir des grandes entreprises. Ce contraste révèle le tour de force le plus sophistiqué du capitalisme : coopter le langage de l’empowerment tout en en vidant le potentiel révolutionnaire.
L’empowerment réel menace les structures de pouvoir existantes parce qu’il développe une capacité collective à transformer les systèmes. Mais le capitalisme a appris à absorber cette menace en redirigeant l’empowerment vers l’optimisation individuelle à l’intérieur de systèmes inchangés. Comprendre cette dynamique — et les alternatives puissantes qui émergent pour lui résister — est crucial pour quiconque cherche une libération authentique aujourd’hui.
Quand les mouvements menacent le capital, le capital s’adapte
La réponse de l’Amérique des grandes entreprises aux récents mouvements de justice sociale suit un schéma prévisible. Après que des millions de personnes sont descendues dans la rue pour Black Lives Matter en 2020, les entreprises ont promis plus de 50 milliards de dollars pour l’équité raciale — mais la plupart ont livré des gestes symboliques plutôt que des changements structurels. Netflix n’a d’abord proposé que 5 millions de dollars sous la pression, puis a porté l’enveloppe à 120 millions quand l’indignation publique s’est intensifiée. Jamie Dimon, de JPMorgan, s’est agenouillé pour la photo pendant que la banque maintenait des pratiques de prêt discriminatoires.
Cette « alliance performative » a une fonction précise : neutraliser les revendications révolutionnaires en offrant de la représentation sans redistribution. Les entreprises modifient la composition démographique de leurs directions tout en préservant la concentration de richesse. Elles adoptent le langage de la justice sociale tout en conservant des pratiques de travail exploitantes. L’esthétique de l’empowerment est séparée de sa substance.
On observe le même schéma à travers d’autres mouvements. Le féminisme d’entreprise transforme la libération des femmes en ascension professionnelle individuelle au sein de systèmes inchangés. La culture « girlboss », incarnée par des figures comme Sophia Amoruso, a promu l’entrepreneuriat féminin tandis que l’entreprise d’Amoruso licenciait des employées enceintes et instaurait des environnements toxiques. Une analyse du Harvard Political Review montre que cette approche « prioritise la réussite individuelle au détriment extrême des autres femmes » et crée « un club exclusif qui n’admet pas les femmes ordinaires ».
Même les mouvements écologistes sont récupérés via le « greenwashing ». De grands pollueurs comme BP se sont rebaptisés « Beyond Petroleum » tout en poursuivant des investissements massifs dans les fossiles. H&M a promu des « Conscious Collections » en maintenant un modèle fast-fashion responsable de jusqu’à 8 % des émissions mondiales. Coca-Cola a lancé des campagnes « World Without Waste » alors même qu’il reste le plus grand pollueur plastique du monde.
L’« entrepreneur de soi » rencontre la positivité toxique
Cette récupération s’appuie sur des mutations plus profondes dans la manière dont on nous apprend à nous comprendre. Michel Foucault a montré comment le néolibéralisme fabrique des « entrepreneurs de soi » — des personnes qui se traitent comme de petites entreprises, optimisant sans cesse leurs performances et assumant individuellement la responsabilité de résultats systémiques.
On le voit partout dans la culture contemporaine. Des salarié·es se vantent de semaines de 70 heures au lieu d’exiger des horaires raisonnables. Des étudiant·es choisissent leur filière selon le « retour sur investissement » plutôt que la passion ou la contribution sociale. Les applis de rencontre gamifient les relations et encouragent le « personal branding ». Les travailleurs de la gig-économie acceptent l’exploitation parce qu’on leur dit qu’ils sont des « indépendants » bâtissant leur propre affaire.
Les programmes « bien-être » en entreprise amplifient cette dynamique par ce que la recherche appelle la positivité toxique — pathologisant des revendications légitimes au travail comme des problèmes individuels de santé mentale à régler par la pensée positive. Des boîtes instaurent des « zones sans plainte » et imposent des politiques « good vibes only » au lieu de s’attaquer aux causes du burn-out. Des travaux chez Atlassian montrent que cela accroît en réalité stress, anxiété et dépression en forçant la suppression émotionnelle, tout en empêchant l’organisation collective en individualisant des problèmes systémiques.
L’industrie de l’auto-aide renforce ces schémas en promettant des solutions individuelles à des défis collectifs. Des applis de méditation valorisées plus de 2 milliards de dollars promeuvent la gestion personnelle du stress plutôt que la réforme des conditions de travail. La culture bien-être marchandise des pratiques spirituelles tout en détournant l’attention du changement systémique. Comme le documente EURAC Research, cela installe une « compréhension entrepreneuriale de soi comme projet de développement continu » qui fragmente la solidarité collective.
Les mouvements historiques montrent qu’une autre voie est possible
Pourtant, tout au long de l’histoire, les mouvements qui ont réussi ont articulé empowerment individuel et action collective d’une manière qui résiste à la récupération. Le mouvement zapatiste au Chiapas, au Mexique, en est un exemple. Depuis son émergence publique en 1994, les Zapatistes ont créé des territoires autonomes rassemblant plus de 300 000 participant·es, avec leurs propres systèmes de santé, d’éducation et de justice, tout en rejetant à la fois le contrôle de l’État et le capitalisme global.
Leur principe de « mandar obedeciendo » (« commander en obéissant ») empêche la concentration du pouvoir via des responsabilités tournantes et des assemblées au consensus. Les droits individuels sont protégés dans des cadres collectifs qui priorisent l’autonomie communautaire sur la participation au marché. Malgré l’encerclement militaire par 77 bases mexicaines, ces zones autonomes fonctionnent toujours après trois décennies, démontrant des alternatives crédibles au socialisme d’État comme à la démocratie capitaliste.
De même, le mouvement des ZAD (Zones À Défendre) en France a montré comment l’occupation territoriale peut préfigurer d’autres rapports sociaux. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a stoppé un projet d’aéroport à 580 millions d’euros après 50 ans de résistances, en créant des communautés autonomes avec ressources partagées, démocratie directe et infrastructures collectives. Si la plupart des ZAD ont été évacuées, le modèle s’est diffusé mondialement et a influencé des luttes anti-développement.
Les coopératives de plateforme offrent une autre voie : démocratiser le numérique au lieu de le laisser aux entreprises extractives. À la différence des plateformes de « l’économie du partage » qui emploient un lexique coopératif tout en concentrant la richesse chez les investisseurs, de véritables coopératives de plateforme comme Stocksy United, Resonate et Up & Go appartiennent aux travailleurs et aux usagers. Elles répartissent les profits entre membres-propriétaires et maintiennent une gouvernance démocratique des politiques de plateforme.
Les résistances contemporaines bâtissent un pouvoir collectif
Le même schéma se retrouve dans des mouvements récents qui résistent à la récupération en gardant le cap sur l’organisation collective plutôt que la promotion individuelle. La victoire du Question 3 au Massachusetts en novembre 2024 en est l’illustration : les travailleurs de plateformes y ont obtenu un droit inédit de former des syndicats et de négocier collectivement, créant des systèmes de négociation gérés par l’État malgré l’opposition d’Uber et Lyft, qui ont dépensé des millions pour combattre la mesure.
Cette victoire découle d’années d’organisation de terrain par le SEIU (Service Employees International Union), qui a construit le pouvoir des travailleurs au lieu d’accepter des compromis « troisième catégorie » favorables aux entreprises. Le système exige l’approbation directe des conducteurs pour tout accord, empêchant les manipulations des plateformes tout en établissant un précédent pour d’autres États.
Les mouvements pour la justice du logement connaissent des succès similaires grâce à l’organisation collective. La coalition Housing Justice for All à New York a uni plus de 80 organisations pour gagner, en 2019, le Housing Stability and Tenant Protection Act — la plus forte protection des locataires depuis des générations. Le texte a fermé des échappatoires (vacancy decontrol) qui avaient supprimé 160 000 logements à loyer stabilisé, mis fin aux bonus de vacance de 20 % et étendu la stabilisation des loyers à l’échelle de l’État. Cette victoire doit tout à la construction d’un pouvoir locatif multiracial, plutôt qu’à des compromis favorables aux promoteurs.
Les réseaux d’entraide apparus pendant le COVID-19 montrent comment le soin collectif construit des capacités durables. Bed-Stuy Strong a soutenu 28 000 personnes et levé 1,2 million de dollars par des dons de base, en s’appuyant sur le principe « solidarité, pas charité ». Ces réseaux ont maintenu une organisation autonome, indépendante des systèmes publics, tout en connectant les gens aux services — bâtissant ainsi l’infrastructure d’un pouvoir communautaire durable.
Comprendre le pouvoir grâce à des théories accessibles
Des concepts académiques aident à expliquer pourquoi ces approches réussissent pendant que les solutions individuelles échouent souvent. La théorie de l’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci montre comment les classes dominantes maintiennent leur pouvoir non par la force seule, mais en rendant leur vision du monde « allant de soi ». C’est ainsi que des personnes acceptent des systèmes qui les exploitent — elles ont intériorisé des valeurs qui rendent l’inégalité naturelle et inévitable.
L’hégémonie culturelle opère quand des travailleurs célèbrent des semaines de 70 heures au lieu de voir l’exploitation, quand la pauvreté est attribuée à l’échec individuel plutôt qu’à l’inégalité systémique, et quand des styles de vie d’entreprise paraissent « normaux » tandis que les alternatives sont marginalisées. La guerre d’Irak de 2003 en est un exemple : si les motivations de l’État étaient économiques et politiques, le consentement public a été fabriqué en la présentant comme une mission de « liberté » contre des « armes de destruction massive ».
Les mouvements efficaces doivent donc défier à la fois les conditions matérielles et les idées dominantes. Cela requiert des stratégies « contre-hégémoniques » : médias alternatifs, éducation populaire, conscientisation… Autrement, changer des politiques sans transformer la conscience s’avère insuffisant, car les gens continuent d’accepter la logique qui a créé les problèmes.
L’analyse foucaldienne de « l’entrepreneur de soi » complète celle-ci en montrant comment le néolibéralisme façonne la subjectivité. Quand on se traite comme un capital humain à optimiser en permanence, on se blâme pour les échecs systémiques au lieu de contester l’injustice. On obtient ainsi des sujets qui ne se révoltent pas contre l’exploitation, mais redoublent d’efforts pour “réussir” en son sein.
Des critiques contemporaines éclairent le rôle du self-help dans ces schémas. Le Roosevelt Institute identifie les « strivers » comme des personnes acquises à l’idéologie néolibérale mais qui ont besoin en permanence d’auto-aide pour gérer l’anxiété qu’elle engendre. La culture bien-être sert souvent de « portail vers l’apathie politique » parce qu’elle focalise sur des solutions individuelles pendant que les systèmes demeurent inchangés. On comprend mieux dès lors pourquoi les problèmes de santé mentale augmentent malgré l’accent mis sur le « care », et pourquoi les solutions individuelles échouent face à des maux enracinés dans l’inégalité et la déconnexion sociale.
Des voies pratiques pour un empowerment collectif
Malgré les tentatives de récupération, il existe de nombreuses voies concrètes vers un empowerment collectif qui résiste à la capture capitaliste. Les coopératives de travail offrent le chemin le plus direct vers une démocratie au travail. La U.S. Federation of Worker Cooperatives regroupe plus de 900 lieux de travail démocratiques employant plus de 10 000 personnes, et propose des ressources comme le cursus « Zero to Co-op » et le Co-op Clinic de mentorat par les pairs.
Monter une coopérative de travail implique de former un noyau de 5 à 15 personnes, d’effectuer étude de marché et montage juridique, d’évaluer la viabilité par la décision collective, puis d’incorporer et de lancer l’activité. Des exemples comme Alvarado Street Bakery montrent des sociétaires gagnant ~60 000 $ par an plutôt que des salaires minimaux, tandis que la Corporation Mondragon, en Espagne, prouve que le modèle peut s’étendre à plus de 90 coopératives employant plus de 70 000 personnes.
Les réseaux d’entraide constituent un autre point d’entrée, en s’appuyant sur le Shareable Mutual Aid 101 Toolkit ou les ressources d’AOC/Mariame Kaba. La démarche : démarrer à 5–20 personnes, identifier les besoins par assemblées, instaurer des structures démocratiques, et passer à l’action pour répondre aux besoins immédiats tout en construisant des capacités d’organisation à long terme. Des réseaux comme MAMA Fund à Atlanta ont distribué 800 000 $ en quatre ans, montrant la puissance des ressources communautaires de base.
Les coopératives de plateforme offrent des alternatives aux plateformes extractives : Up & Go à New York reverse 95 % des recettes aux sociétaires, là où les plateformes prennent couramment 5 % (et plus) en frais, tandis que Stocksy United permet à des photographes de posséder la plateforme et de partager équitablement les revenus. Le Platform Cooperativism Consortium fournit des ressources de développement, y compris 1 million de dollars de Google.org pour créer des plateformes numériques détenues par les travailleurs.
L’organisation des locataires construit un pouvoir collectif par des méthodes éprouvées. En s’appuyant sur Tenants Together, le DSA Emergency Tenant Organizing Committee ou Housing Justice for All, les organisateurs repèrent les problèmes d’immeuble, font du porte-à-porte, tiennent des assemblées, formulent des revendications précises et coordonnent l’action collective avec des campagnes à l’échelle de la ville. Parmi les victoires récentes : le vote unanime du conseil municipal de Los Angeles pour renforcer les ordonnances anti-harcèlement des locataires et la Homelessness Prevention Act en Californie.
Le choix : adaptation individuelle ou transformation collective
Le choix fondamental qui se pose aujourd’hui est celui-ci : s’adapter individuellement à des systèmes nocifs, ou transformer collectivement ces systèmes. Le génie du capitalisme consiste à faire passer la première option pour la seule réaliste, tout en rendant les alternatives invisibles ou irréalisables.
Pourtant, les exemples étudiés — des zones autonomes zapatistes à l’organisation des travailleurs de plateformes au Massachusetts — démontrent que l’empowerment collectif n’est pas seulement possible, mais qu’il s’étend. Ces mouvements réussissent parce qu’ils misent sur la participation démocratique, la coopération économique et le changement systémique — plutôt que sur la réussite individuelle dans des systèmes inchangés.
L’idée clé, c’est que l’empowerment individuel et collectif se renforcent mutuellement. Il faut des capacités personnelles pour participer à l’action collective, et l’action collective crée des conditions d’épanouissement que les solutions marchandes ne peuvent offrir. Les mouvements qui réussissent comprennent cette symbiose et construisent en conséquence.
À mesure que la récupération d’entreprise se raffine, les mouvements doivent devenir tout aussi sophistiqués dans leur analyse et leurs stratégies de résistance. Cela suppose de comprendre le fonctionnement de l’hégémonie culturelle, de reconnaître le conditionnement à « l’entrepreneur de soi », et de bâtir des organisations qui préfigurent les relations démocratiques qu’elles veulent étendre à l’ensemble de la société.
Les enjeux s’exacerbent avec l’approfondissement des inégalités, l’intensification de la crise climatique et la fragilisation des institutions démocratiques. Les stratégies d’empowerment purement individuelles ne peuvent pas répondre à des défis d’une telle ampleur, tandis que l’empowerment collectif offre des voies pratiques de transformation qui connectent l’agentivité personnelle au changement systémique.
La question n’est pas de savoir si l’empowerment compte — il compte, profondément. La question est de savoir si cet empowerment sera canalisé vers l’adaptation à l’exploitation, ou organisé pour y mettre fin. L’histoire comme le présent montrent que la seconde option n’est pas seulement possible : elle est nécessaire à quiconque cherche une libération authentique dans notre monde interconnecté.